To Telema Mpo Na Kongo

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Responsabilité morale

Le 16 novembre 2001, la commission produisit un rapport accablant. Dès juillet 1960, le gouvernement belge, sans respect pour la souveraineté du Congo, s’était bien employé à éliminer politiquement Lumumba. Bruxelles avait encouragé les sécessions du Katanga et du Kasaï, qui avaient pour but d’affaiblir l’Etat unitaire, tandis que les grandes sociétés (I’Union minière au Katanga, la Forminière au Kasaï) payaient leurs impôts aux autorités sécessionnistes. Le gouvernement belge obtint que le Parlement vote des fonds secrets d’un montant de 270 millions de francs belges actuels (6,7 millions d’euros). Ce budget considérable, auquel s’ajoutèrent des contributions privées, lui permit de subventionner une campagne de déstabilisation et d’actions secrètes : livraisons d’armes, soutien à l’arrestation de Lumumba, tentative d’enlèvement, préparation d’un attentat... Implacable, le rapport rappelle les propos du ministre des affaires étrangères de l’époque, Pierre Wigny (« Il faut mettre Lumumba hors d’état de nuire »), comme ceux du ministre des affaires africaines Harold d’Aspremont Lynden qui, dans un télex du 6 octobre 1960, souhaitait l’« élimination définitive » d’un Lumumba déjà destitué et prisonnier.

Lorsque, en novembre 1960, Lumumba est rattrapé après avoir tenté de fuir et de rejoindre ses partisans à Stanleyville (Kisangani), les autorités belges insistent pour qu’il soit transféré au Katanga, où ses pires ennemis ont juré sa perte. Comme on aurait pu le prévoir, cinq heures après son arrivée, Lumumba et ses deux compagnons, Joseph M’Polo et Maurice Okito, sont exécutés par des gendarmes et des policiers katangais, en présence d’un commissaire de police et de trois officiers de nationalité belge.

Si l’énumération des faits relevés est implacable, le rapport se termine cependant par un bémol : la commission constate qu’à aucun moment le gouvernement belge ou un de ses membres n’a donné l’ordre d’éliminer physiquement le premier ministre congolais et conclut donc que certains membres du gouvernement belge de l’époque ont une « responsabilité morale » dans les circonstances qui ont conduit à l’assassinat de Lumumba. La commission laisse au Parlement le soin de se prononcer sur une qualification plus précise des charges et sur d’éventuelles réparations. Bien que les députés, désireux d’obtenir un consensus, ne se soient pas avancés sur la responsabilité politique des autorités de l’époque, leur travail est d’une grande honnêteté intellectuelle et n’a pas fini de faire des vagues.

Car l’une des conclusions de la commission d’enquête atteint directement l’image d’un homme auquel de nombreux Belges vouent un véritable culte : le roi Baudouin. Ce dernier, très hostile à Lumumba et très favorable à Moïse Tschombé, le leader sécessionniste du Katanga, a mené au Congo sa propre politique. Informé des menaces qui pesaient sur la vie du premier ministre congolais, il n’en informa pas le gouvernement. Adressant un blâme discret à l’institution monarchique, la commission rappelle que « chaque acte du chef de l’Etat qui peut avoir directement ou indirectement une influence politique doit être couvert par un ministre ».

Les archives dépouillées par les experts éclairent aussi la politique menée par la Belgique au Rwanda et au Burundi : des documents rappellent ainsi que Bruxelles, en 1960, avait assigné à résidence le fils du mwami (roi) du Burundi, le prince Louis Rwagasore, et n’envisageait sa libération que s’il s’abstenait de toute activité politique. Un an plus tard, Rwagasore, devenu premier ministre, était assassiné par un tueur grec à la solde du Parti démocrate chrétien (PDC), proche de la Belgique et de l’Eglise.

Congo, Rwanda, Burundi : les autorités belges, une autre génération politique dans un Etat devenu fédéral, ont entrepris de mener jusqu’au bout la recherche de la vérité sur la politique africaine menée jadis par l’Etat unitaire. Elles espèrent qu’une telle démarche permettra de tourner la page sur un passé peu glorieux et de reconstruire de nouvelles relations avec l’Afrique. La Belgique espère, en particulier, contribuer à faire revenir la paix dans un Congo qui ne s’est jamais remis du crime d’Etat commis en 1960 (8).

Colette Braeckman.



28/10/2007
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