To Telema Mpo Na Kongo

To Telema Mpo Na Kongo

pionnier du panafricanisme

        Découverte - Afrique de l’Ouest - Ghana - Politique

Nkrumah, père du panafricanisme

Au cœur de la pensée panafricaine se trouve Kwame Nkrumah. Il est celui qui a porté la Côte d’Or a son indépendance pour en faire le Ghana, premier pays africain à être libéré de l’emprise coloniale. Sa vision dépassait les intérêts de son seul pays et il aura œuvré toute sa vie pour l’Unité africaine. Mort dans la déchéance, longtemps resté impopulaire, sa pensée panafricaine lui a survécu. Portrait.


jeudi 10 juillet 2003, par Isabelle Sciamma  



A l’heure où le Sommet de l’Union Africaine s’ouvre à Maputo, le panafricanisme n’est plus seulement un idéal. L’Afrique œuvre pour son unité, celle tant rêvée par Kwame Nkrumah, père de l’Indépendance du Ghana. En 1957, la Côte d’Or est alors le premier pays africain à se libérer du joug de la présence coloniale britannique et très vite, la pensée émancipatrice de Nkrumah s’affirme au delà des frontières du Ghana. En 1960, quelques mois après son accession à la fonction suprême de président de la République, celui qui se fera appelé Osagyefo, le Rédempteur, écrit : « le nationalisme africain ne se limite pas seulement à la Côte d’Or, aujourd’hui le Ghana. Dès maintenant il doit être un nationalisme panafricain et il faut que l’idéologie d’une conscience politique parmi les Africains, ainsi que leur émancipation, se répandent partout dans le continent ».

Les prémisses de l’idéologie panafricaine

Fils unique d’une mère commerçante et d’un père chercheur d’or, Kwame Nkrumah est né en 1909 à Nkroful, un village du sud ouest de la colonie britannique de la Côte d’Or. Les fondements de sa pensée panafricaine prennent leurs sources dans un parcours qui le mène de la Côte d’Or à l’Angleterre en passant par les Etats-Unis. En 1935, il quitte son pays pour aller étudier l’économie et la sociologie à l’université Lincoln en Pennsylvanie. Là il découvre les écrits des auteurs noirs Marcus Garvey et W.E.B Du Bois qui alimenteront sa future idéologie. Il se plonge dans l’histoire politique américaine et comprend que la puissance des Etats-Unis réside dans son unité. En 1943, il écrit son premier pamphlet anti-colonial Towards colonial freedom, dans lequel il dénonce l’asservissement de l’Afrique.

En 1945, il embarque pour Londres afin de poursuivre des études de droit mais très vite, l’émulation politique qui règne dans le pays au sein des communautés issues des colonies le gagne. Il rejoint le syndicat des Etudiants d’Afrique de l’Ouest et organise la 5ème conférence panafricaine de Manchester. Il travaille aux côtés de politiciens africains qui deviendront les principaux instigateurs de l’indépendance dans leur pays, parmi lesquels Jomo Kenyatta, futur président du Kenya. Ses textes enflammés, publiés dans le journal « Le Nouvel Africain » promettent l’unité africaine et font parler de lui : le nom de Nkrumah est désormais synonyme de radicalisme pour l’administration coloniale en Côte d’Or.

Retour triomphal

En 1947, son retour au pays est triomphal et lui promet une ascension fulgurante. Il prend immédiatement la tête du nouveau parti pour l’Indépendance United Gold Coast Convention, et mène des actions dans tout le pays tandis que la puissance colonisatrice réprime les velléités émancipatrices qui gagne le peuple. En 1948, Nkrumah est emprisonné pour agitation politique lors d’une manifestation contre le gouvernement : il devient alors un martyre politique, un rôle qu’il accepte et cultive. La pression est grande et l’administration coloniale est obligée de faire des concessions. En 1952, Nkrumah devient le premier ministre de la Côte d’Or et son nouveau parti, le CPP (Convention People’s party) gagne toutes les élections organisées par les Britanniques pour tester les préférences politiques du peuple. Le 6 mars 1957, le combat de la première révolution arrive à son terme : la Côte d’Or devient indépendante et se rebaptise Ghana.

« Nkrumaïsme »

A la tête du premier Etat indépendant d’Afrique, dont il devient le président en 1960, Nkrumah, pris dans l’euphorie de la victoire, voit grand. Il œuvre activement pour la libération des pays encore soumis à la domination coloniale. C’est ainsi qu’il apporte 25 millions de dollars de soutien à la Guinée suite à la déclaration de son indépendance en 1958. La même année, la réunion des chefs d’Etat africains se tient à Accra sous l’égide du ghanéen qui affirme la nécessité pour l’Afrique « de développer sa propre communauté et sa personnalité », et son non-alignement aux deux blocs.

La politique extérieure de Nkrumah est toute entière dédiée à la construction de l’Unité africaine qu’il pense comme une fusion organique des Etats Indépendants et non comme leur simple coopération. Il entend promouvoir sa doctrine originale, le « consciencisme », qu’on appelle parfois aujourd’hui le « nkrumaïsme ». Empreinte d’un marxisme non orthodoxe associé au concept traditionnel africain de collectivisme, elle vise « la résurrection des valeurs humanitaires et égalitaires de l’Afrique traditionnelle dans un environnement moderne ». En 1963, Nkrumah sera ainsi l’un des pères-fondateurs de l’Organisation de l’Union Africaine qui, toutefois, délaissera vite les idées trop radicales du Ghanéen.

De l’euphorie au calvaire

Très vite, le rêve de Nkrumah d’une Afrique unie se heurte aux idées des nouveaux leaders de pays indépendants qui ne sont pas prêts à renoncer à leur toute nouvelle souveraineté. L’Unité africaine devient aux yeux du monde le rêve d’un égocentrique ambitieux qui cache en réalité des plans expansionnistes. En période de guerre froide, elle est vécue comme une manœuvre pour soumettre toute l’Afrique au communisme. Le président ghanéen est désavoué sur la scène africaine et internationale. Les ex-puissances coloniales le diabolisent et tentent de museler la voix dissonante de cette Afrique radicale, compromise dans le léninisme.

Au Ghana, la politique économique de la « seconde révolution » de Nkrumah est un échec. Les dépenses nationales ont ruiné le pays et quand la population descend dans la rue exprimer son mécontentement, elle est réprimée dans le sang. En 1962 et 1964, Nkrumah est victime de deux tentatives d’assassinat. Choqué, il tombe alors dans l’excès de la mégalomanie et prend des mesures drastiques pour se protéger. Il emprisonne sans procès des ministres de son gouvernement qu’il soupçonne de complicité et s’entoure d’une armée de gardes du corps. Il se déclare alors président à vie de la République du Ghana et instaure le parti unique. En février 1966, pendant un voyage du président en Chine, l’armée procède à un coup d’Etat et destitue Nkrumah. La colère accumulée par le peuple refait surface et les manifestations spontanées éclatent dans le pays pour célébrer sa chute. C’est la fin du rêve ghanéen et africain pour Kwame Nkrumah. Acculé, il ne retourne pas au Ghana et s’exile en Guinée. Il meurt d’un cancer en 1972, dans un hôpital à Bucarest, en Roumanie.

En cinq ans, Nkrumah est passé du mythe à la déchéance. Longtemps impopulaire, on retient aujourd’hui de lui la portée visionnaire de ses ambitions panafricaines. L’éveil d’une conscience africaine, la construction d’une unité humaine, politique et économique maîtresse d’un destin qui lui appartient. Autant de thèmes qui sont au cœur de la pensée panafricaine contemporaine.

Bibliographie

Kwame Nkrumah, Ghana, autobiographie de Kwame Nkrumah, Présence africaine, 1960.

Ralph Kent Rasmussen, Modern African political leaders, Facts on file, 1998.

Cécile Laronce, Nkrumah, le panafricanisme et les Etats-Unis, Editions Karthala, 2000.


                                                                                                                                                                                                            Il y a quarante ans, le Ghana...

Le 6 mars 1957, le Ghana (ancienne Gold Coast) devient le premier pays d'Afrique subsaharienne à acquérir son indépendance. Il rejoint ainsi le statut très envié de l'Empire d'Ethiopie et de la République du Liberia. Cet événement politique, survenu en pleine Guerre froide, est salué unanimement à travers le monde, et inaugure le grand mouvement d'indépendance sur le continent africain. En quatre ans, dix-huit autres pays africains suivent l'exemple du Ghana. Si ce pays a réussi à accomplir un tel changement, c'est grâce à la détermination et au charisme de son leader, Kwame Nkrumah, surnommé par son peuple, l'Osagyefo (le Rédempteur).

 

 

 

Boutique d'artiste avec les portraits de Nelson Mandela,
Kwame Nkrumah et Jésus Christ, Castle Road, Accra.

 

Le rêve d'un homme : les États-Unis d'Afrique

C'est à nous de saisir cette occasion magnifique de prouver que le génie du peuple africain peut triompher des tendances séparatistes pour devenir une nation souveraine, en constituant bientôt, pour la plus grande gloire et la prospérité de son pays, les États-Unis d'Afrique.
Kwame Nkrumah, L'Afrique doit s'unir, 1963

Né au début du XXe siècle, dans l'Ouest de la Gold Coast, Nkrumah est sur la scène politique internationale des années 1950-1960, non seulement le président du Ghana, mais aussi le défenseur le plus ardent, le plus actif, et le plus lucide du panafricanisme. Nkrumah souhaite voir l'Afrique unifiée politiquement, la décolonisation n'étant que le prélude à la reconstruction économique, politique, sociale et culturelle de tout le continent. Kwame Nkrumah a un rêve qu'il veut réalité : les États-Unis d'Afrique.

Jusqu'à sa mort en 1972, survenue pendant son exil roumain, Kwame Nkrumah n'a cessé de lancer des appels à l'unité africaine, seule voie permettant, selon lui, d'assurer un véritable développement de l'Afrique. Grâce à ses écrits, sa pensée politique et sa vision du monde demeurent plus que jamais d'actualité.

 

 

 

Vieille femme portant un boubou de l'époque où Nkrumah était Premier Ministre (1957-1960). Fête Nationale du 6 mars 1997, National Stadium, Accra.

 

A la recherche de l'Osagyefo

Le 6 mars 1997, le Ghana célèbre les quarante ans de son indépendance. C'est à l'occasion de cet anniversaire, point de départ de leurs recherches, que l'historienne, Cécile Laronce, et le photographe, Philippe Schlienger commencent leur quête de la mémoire de Kwame Nkrumah dans le Ghana d'aujourd'hui...

En nous rendant au Ghana dès le mois de février, personne ne sait ce que nous allons trouver concernant Kwame Nkrumah. Notre seule assurance consiste dans ses dates biographiques. Né en 1909, le Ghanéen s'est éteint au début des années 1970, à l'âge de 63 ans. Aussi, il semble possible de retrouver la trace d'un homme ayant pleinement participé à la construction du XXe siècle non seulement dans son pays, mais aussi sur le plan international. Que reste-t-il du grand leader ? Trouverons-nous des gens encore en vie parmi sa famille, ses proches, ses alliés ou adversaires politiques, capables de nous parler de ce qu'ils ont vécu avant, avec, ou après lui.

En février et en mars, le Ghana connaît sa saison sèche. L'harmattan souffle, apportant avec lui la chaleur implacable venue du Sahel. Les conditions d'enquête sont rudes. Dès sept heures du matin, au moment où nous commençons nos investigations, la température atteint déjà plus de 30°c. De plus, les moyens de communication ne nous facilitent pas la tâche. Qu'ils s'agissent d'une distance à couvrir par la route, ou d'un simple appel téléphonique, il devient très vite fastidieux d'atteindre le but que l'on s'est fixé la veille. En revanche, les Ghanéens sont très coopératifs. A tous moments, ils sont là pour répondre à nos questions, et ils n'hésitent pas à nous communiquer le moindre renseignement (vrai ou faux) dont ils disposent pour nous permettre d'évoluer dans notre recherche. Ils sont conscients de l'héritage inestimable que représente l'exemple de leur pays pour l'avènement des indépendances en Afrique. Aussi en recoupant les pistes, et à force d'obstination, il nous est possible de retrouver des acteurs ou des témoins de la grande époque de Nkrumah au Ghana. Finalement le résultat obtenu, aussi bien sur le plan des textes que des images dépasse toutes nos espérances.

 

 

 

Le barrage d'Akosombo vu de la rive gauche de la Volta. Le projet de barrage sur la Volta est à l'étude depuis 1939 chez les Britanniques. Faute de résultats, Nkrumah décide au début de l'année 1958, de soulever l'idée auprès du Président Eisenhower d'une contribution américaine à la réalisation du barrage. Le projet au Ghana s'inscrit alors pour les Américains dans la "Dam Diplomacy" (Politique des barrages). A la suite du fâcheux précédent d'Assouan, il s'agit de contrecarrer l'intérêt soviétique pour l'économie en Afrique. En 1961, du fait de la menace grandissante de la présence soviétique dans le secteur, Kennedy décide d'engager les États-Unis sur la Volta. Inauguré par Nkrumah en janvier 1966, un mois avant le coup d'État, le barrage d'Akosombo reste le symbole d'une coopération entre deux hommes prématurément disparus.

 

Le Grand retour de Nkrumah

Ce qui nous surprend, c'est la profusion des réponses. L'évocation même de l'Osagyefo délie les langues. Le souvenir de Kwame Nkrumah est encore très vivace au Ghana, de même que les années qui ont précédé et qui ont suivi l'indépendance en 1957. De la capitale, Accra au sud, jusqu'à Tamale au nord, les adultes se souviennent très bien de Nkrumah, et les enfants l'appellent leur "First President". Il faut dire que le personnage continue de faire parler de lui. Disparu en 1972, Kwame Nkrumah n'a jamais été aussi présent dans son pays. Pourtant vu d'Europe ou d'Amérique, notre quête pouvait paraître vaine. Il n'y a guère que les milieux africanistes, les cercles instruits des universités, de la politique ou de la diplomatie qui le connaissent. En Occident, qui se souvient du combat de l'homme pour la décolonisation, pour l'indépendance de l'Afrique ? Qui se souvient de son action au sein du mouvement des non alignés ? Nkrumah était l'ami de Nasser, de Nehru, de Tito (auxquels la capitale du Ghana consacre des noms de rues et d'avenues). Il était l'interlocuteur africain privilégié du président Eisenhower. Nkrumah fut aussi le premier chef d'état étranger à être reçu à la Maison Blanche après l'investiture du Président Kennedy. Il est l'homme qui a rêvé de solidariser l'Afrique, mais qui n'a jamais pu conduire son rêve jusqu'au bout. Restent ses livres contenant sa philosophie politique : le consciencisme mis au service du panafricanisme. Reste également ce que disent et écrivent les Ghanéens à son sujet. Car son peuple a de la mémoire. Nkrumah a eu sa période désenchantée au Ghana, notamment pendant les années qui ont suivi sa chute en 1966 ; son évocation était alors proscrite. Aujourd'hui, Kwame Nkrumah reste l'homme fort du pays. Auréolé de sa victoire sur le joug colonialiste, il est celui qui a rendu sa dignité au peuple ghanéen. A ce titre, Kwame Nkrumah, vingt-cinq ans après sa mort, sert constamment de référence politique, économique, sociale, et même philosophique, à un tel point que l'actuel Président, Jerry Rawlings, a du mal à se frayer une actualité honorable dans la presse de son pays. Face à l'avalanche de chroniques que consacrent les journaux à Nkrumah, concernant son Ïuvre, mais aussi son entourage politique et familial, face à la persistance du souvenir, le Président Jerry Rawlings ne peut que s'approprier la cause de Nkrumah. Il n'a pourtant rien à envier au premier. Rawlings détient le record de longévité sur la scène politique du Ghana. S'étant emparé du pouvoir en 1979, puis de nouveau en 1981 par des coups d'état successifs, Rawlings a depuis rendu ses droits au processus démocratique (de sources diplomatiques internationales), puisqu'il a organisé en 1993, puis en 1996 des élections présidentielles au suffrage universel. On lui reproche cependant de mener ses campagnes électorales aux frais de l'État. Toujours est-il que Rawlings concède de bonne grâce une large place à l'image de Nkrumah. Peut-être se décharge-t-il ainsi de l'admiration d'un jour suivie du désaveu du lendemain.

 

La vie commence à 40 ans

Les Ghanéens aiment à dire que la vie commence à quarante ans. Nous sommes donc présents au bon moment pour enregistrer l'heureux événement. La fête nationale du 6 mars 1997 est accueillie tantôt dans l'euphorie, tantôt avec circonspection, mais toujours avec beaucoup de fierté. Il faut dire que le Président Jerry Rawlings a réussi à réunir pour l'occasion plusieurs personnalités venues du monde entier : Le Président de la Côte-d'Ivoire, Henri Konan Bédié et sa femme, l'ancien chef d'état tanzanien, Julius Nyerere, le leader afro-américain, Louis Farrakan sont présents. La veuve de Kwame Nkrumah, Fathia, fait également partie des invités d'honneur. Grâce à ce rendez-vous africain exceptionnel, le Ghana vit intensément son quarantième anniversaire. Toute la population se sent concernée par les célébrations. Cette prédisposition répond parfaitement à notre attente. Mieux connaître l'Osagyefo suppose notre présence lors de la fête de l'indépendance, mais aussi la collecte des témoignages de jeunes et de moins jeunes rencontrés au cours des 2500 km parcourus lors de ce premier séjour effectué aux mois de février et mars 1997. Saisir l'Ïuvre de Nkrumah au Ghana, nécessite une attention particulière portée sur le pays à travers ses habitants, ses écoles, son équipement industriel, son domaine forestier, ses paysages. A chaque rencontre, nous étoffons la tessiture de notre recherche. A Accra, les rendez-vous se succèdent et ne se ressemblent pas : un patron de presse, fils d'un ministre de Nkrumah, nous reçoit au siège de son journal. Le conservateur du musée national qui a été construit à la demande de Nkrumah, nous ouvre les portes secrètes de la réserve. Une des 18 femmes députées appartenant au NDC (National Democratic Congress), parti de Jerry Rawlings, nous explique dans son bureau du Parlement le quotidien difficile que vivent les femmes dans sa circonscription. Sur le campus universitaire de Legon, le fils aîné de Kwame Nkrumah, âgé d'une soixantaine d'années, nous livre ses souvenirs concernant son père, mais aussi concernant sa mère. Les compagnons les plus fidèles de l'Osagyefo nous introduisent dans leur domicile. A plus de 80 ans, ils sont les pères fondateurs du Ghana contemporain, et leur mémoire est intacte. Peu à peu, nous reconstituons le puzzle d'une vie et d'une Ïuvre, à partir d'éléments ne figurant jusqu'ici dans aucun livre. A Kumasi, nous menons notre enquête auprès des notables de la ville, et auprès des étudiants sur le campus universitaire dans le Département des Sciences Sociales. Là encore les résultats nous surprennent par le tour passionné que prennent les débats, sachant qu'à Kumasi se tient le plus important fief anti-nkrumaiste. Plus au nord, à Tamale nous rencontrons un éducateur qui nous explique comment Nkrumah a désenclavé le nord du pays, et a permis le développement du système éducatif. A quelques kilomètres de Tamale, dans le village de Sanarigu, nous sommes reçu par le chef, chirurgien de son métier, et par les anciens. Dans les années 50-60 le village entier de Sanarigu soutenait activement le CPP, Convention People's Party, le parti de Nkrumah. Encore plus loin, à Larabanga, à l'ombre de la mosquée la plus vieille d'Afrique de l'Ouest, au milieu d'un groupe d'enfants et d'adolescents, notre quête est la même : L'historienne interview, tandis que le photographe capte l'image. Plus d'une centaine de témoignages se succèdent. A Akosombo, à Tema, à Larteh, à Cape Coast, nous sommes effectivement sur les traces de l'Osagyefo, et notre but se précise de jours en jours.

 

 

 

Ako Adjei, le dernier survivant des "Bix Six", Accra. Les «Big Six» (J.B. Danquah, Obetsebi Lamptey, Edward Akufo Addo, William Ofori Atta et Kwame Nkrumah) étaient les leaders de la United Gold Coast Convention (UGCC), un parti politique formé en Gold Coast en août 1947 pour contrecarrer l'administration coloniale. Les six leaders furent arrêtés et emprisonnés par le Gouvernement colonial britannique après les émeutes sanglantes de février 1948. Ako Adjei est le seul survivant de cette époque légendaire.

 

Sur les traces de Strand

Nous sommes non seulement sur les traces de Nkrumah, porte flambeau d'un continent tout entier, mais également à la recherche d'hommes, de femmes qui ont à un moment donné symbolisé cet élan novateur, à l'époque où le Ghana gagnait son indépendance. Ces protagonistes ont laissé sans même le savoir dans un livre leur image, leur nom, ou le nom du lieu ou du chantier où ils Ïuvraient lorsque le Ghana naissait. Tous ces personnages sont passés devant l'objectif du photographe, Paul Strand, au milieu des années 1960. C'est ainsi, qu'aujourd'hui ils figurent au côté de Nkrumah dans un livre rare qui nous montre comment et avec qui, tout a commencé.

Nous avons cherché à retrouver ces témoins et acteurs. A défaut d'archives administratives, là encore il a fallu s'accrocher à la moindre piste, au moindre témoignage oral, nous laissant guider aveuglément sans jamais perdre confiance. La chance était sur notre route. Les personnages ont vieilli mais la mémoire est vive. Les enfants sont devenus des adultes. La vieille femme d'hier s'est éteinte. Cynthia Blavo, la jeune infirmière du Korle Bu Hospital vit aujourd'hui à Accra après avoir mené une carrière internationale. Ses enfants sont installés aux États-Unis. Emmanuel Osei Agyeman Asibey, le World Life Chief de la Mole Game Reserve a pris sa retraite à Accra. Il affirme que tous les chefs d'États ghanéens, depuis Nkrumah jusqu'à Rawlings, se sont intéressés personnellement au développement de la réserve sauvage de Damongo. Face à Cynthia Blavo ou au Dr Asibey notre étonnement est le même. Nous les connaissions déjà par leur image admirable, et à présent ces êtres s'animent devant nous et nous retracent avec passion 40 ans de leur existence. Comme le Ghana, ils ont grandi. Nous sommes aussi sur les traces de la prêtresse de Larteh. Nous finissons par découvrir dans son village au milieu des collines, qu'elle est morte il y a deux ans. Il y a aussi ceux dont la trace se perd en Europe ou en Amérique. C'est le cas de Abida Dagomba de Baga-Baga, qui vit aujourd'hui aux Pays-Bas. Elle est la jeune fille au regard effarouché qui posait avec un nourrisson ; la retrouverons-nous un jour ?

Nous avons la preuve que tous les protagonistes de Strand existent, et qu'ils ont pris part à l'aventure que Nkrumah a rendu possible pour son peuple, pour son pays et pour l'Afrique. Redécouvrir les portraits vivants de Strand, c'est partir à la découverte de ce qu'est devenu le Ghana d'aujourd'hui. Parallèlement au grand chemin politique de Nkrumah, l'Histoire a fait le reste, emmenant avec elle des hommes et des femmes désireux de construire l'avenir.

 

 

 

La mosquée de Larabanga.

 

L'historienne et le photographe

Le travail effectué au Ghana dans des disciplines complémentaires permet une approche sensible et riche. Les questions de l'historienne associées à l'objectif du photographe entraînent un balayage plus large du champ d'investigations et optimisent le nombre et la qualité des réponses. Ce mode d'intervention nécessite l'absolu respect de l'autre, ce qui se traduit par une écoute attentive et d'harmonieux enchaînements. Les Ghanéens, séduits par notre méthode de travail se prêtent avec enthousiasme et sérieux tantôt à nos questions, tantôt aux prises de vue, et ceci quel que soit leur âge ou leur classe sociale. Ils apprécient la démarche originale (témoignages oraux et photographie) qui leur donne une entière liberté d'expression. Beaucoup de Ghanéens souhaitent poursuivent avec nous cette recherche qui met en lumière des aspects de leur vie jusqu'à lors ignorés. Kwame Nkrumah n'est pas étranger à cette prise de conscience. Chaque Ghanéen animé d'un sens civique très fort, se sent profondément concerné par les quarante années qui viennent de s'écouler. La mémoire compose le quotidien et participe à la construction du lendemain. C'est pourquoi, il importe à l'historienne comme au photographe de restituer le plus fidèlement possible les témoignages que les Ghanéens acceptent de nous confier.

 

Bibliographie

  • Davidson, Basil : Black star : a view of the life and times of Kwame Nkrumah. London : Allen Lane, 1973. 225 p.
  • Eskildsen, Ute : "Conceiving timelessness", pp. 124-137, in Strand, Paul : The World on my doorstep : 1950-1976. New York : Aperture, 1994. 141 p.
  • Hagan, George P. : "Nkrumah's cultural policy", pp. 1-26, in Arhin, Kwame (ed.) : The Life and work of Kwame Nkrumah. Accra : Sedco, 1991. XIV-377 p.
  • Laronce, Cécile : L'influence de Nkrumah dans la politique étrangère américaine : Les États-Unis découvrent l'Afrique. Thèse de Doctorat, Centre de Recherches Africaines, Université de Paris I Panthéon Sorbonne, 1997, 515 p.
  • Nkrumah, Kwame : The Autobiography of Kwame Nkrumah. Edimburgh : Thomas Nelson and sons, 1957. XV-310 p.
  • Schlienger, Philippe : Épreuves d'acier, fragments d'une forge. Paris : Contrejour, Les Insatisfaits, 1995. 82 p. (préface de Cécile Laronce).
  • Strand, Paul, and Davidson, Basil : Ghana : An African portrait. (Photographs by Paul Strand, commentary by Basil Davidson). New York : Aperture, cop. 1976. 159 p.
  • Strand, Paul : The World on my doorstep : 1950-1976. Op. cit.

 

Les auteurs et le Ghana

Très rares sont les historiens africanistes du monde francophone, qui se sont penchés de manière approfondie sur la biographie de Kwame Nkrumah. Cécile Laronce mène au Ghana, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, depuis 1988, des recherches sur le leader du panafricanisme et lui a consacré une thèse de Doctorat (L'Influence de Nkrumah dans la politique étrangère américaine : Les États-Unis découvrent l'Afrique, 1945-1966), dans laquelle l'historienne révèle toute la portée du charisme de Nkrumah sur les puissances occidentales. Pour mener à bien son investigation Cécile Laronce travaille dans le cadre du Centre de Recherches Africaines de l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne. A présent, elle souhaite vivement révéler l'histoire prodigieuse du Ghana, à laquelle Nkrumah a largement contribué. Un livre, parmi d'autres, la guide dans cette voie : Ghana : an African portrait du photographe, Paul Strand, et de l'historien, Basil Davidson. Pour renouveler cette expérience, Cécile Laronce et le photographe Philippe Schlienger mettent en place une recherche transversale et originale alliant Art et Humanités.

 

 

 

Ecoliers de l'école primaire Gray Memorial JSS, Adabraka, Accra.

 

Kwame Nkrumah par les dates

  • 1909 : Naissance de Nkrumah à Nkroful dans la Région de l'Ouest de la Gold Coast
  • 1935 : Départ de Nkrumah pour les États-Unis, où il reste dix ans pour faire ses études universitaires
  • 1945 : Départ pour l'Angleterre. Participation au Congrès panafricain de Manchester
  • 1947 : Retour de Nkrumah en Gold Coast. Début de son action politique dans l'UGCC (Convention Unie de la Gold Coast)
  • 1949 : Nkrumah fonde son propre parti : le CPP &emdash; (Parti de la Convention du Peuple) &emdash;
  • 1950 : Nkrumah lance la première campagne d' "action positive" dans l'histoire du continent : grèves, boycotts contre l'administration coloniale britannique. Ces événements entraînent l'emprisonnement de Nkrumah le 21 janvier 1950. Nkrumah devient un héros national.
  • 12 février 1951 : Nkrumah est libéré.
  • 23 février 1951 : Nkrumah devient le Chef du Gouvernement (Government Business) à l'Assemblée de Gold Coast.
  • 1952 : Nkrumah est nommé Premier ministre du Gouvernement de la Gold Coast.
  • 1957 : Indépendance du Ghana. Nkrumah devient Premier ministre.
  • 1960 : Nkrumah est Président de la République du Ghana.
  • 8 mars 1961 : Nkrumah est le premier chef d'État étranger à être reçu à la Maison Blanche par le tout nouveau Président américain, John F. Kennedy.
  • 1964 : Expérience au Ghana du parti unique.
  • Février 1966 : Coup d'État militaire au Ghana.
  • 2 mars 1966 : Nkrumah est accueilli en Guinée qui lui offre asile honorable.
  • Avril 1972 : Nkrumah meurt en exil dans un hôpital de Roumanie à Bucarest.

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