To Telema Mpo Na Kongo

To Telema Mpo Na Kongo

Ruhimbika, Manassé (Müller). – Les Banyamulenge (Congo-Zaïre) entre deux guerres (préface de B. Jewsiewicki)

À la fois témoignage, contribution à l’histoire immédiate et recueil de documents, la plupart appartenant à ce qu’il est convenu d’appeler la « littérature grise », ce livre est d’une importance capitale pour qui veut saisir le destin tragique de cette communauté encore trop méconnue. Longtemps engagé dans les projets de développement rural du Kivu, président de la mutuelle Milima avant de fonder le collectif des Forces républicaines fédéralistes (FRF), l’auteur est mieux placé que quiconque pour nous aider à décrypter les heurs et malheurs de sa communauté d’origine.

Qui sont les Banyamulenge ? Il suffit de poser cette question pour soulever une tempête de controverses. Pour beaucoup de Congolais se disant « authentiques », les Banyamulenge – « les gens de Mulenge », aujourd’hui répartis à travers les zones de Fizi, Uvira et Mwenga, au Sud Kivu – sont des étrangers, en l’occurrence des Tutsi récemment émigrés du Rwanda, et par conséquent ne pouvant sous aucun prétexte se prévaloir de la citoyenneté congolaise. Les intéressés, évidemment, se rallient à l’opinion contraire, solidement étayée par les travaux de nombreux historiens et anthropologues. S’il est difficile de préciser la date exacte de leurs migrations, en revanche, tout porte à croire que celles-ci remontent à l’époque précoloniale. J. Hiernaux, par exemple, situe au début du xviiie siècle l’époque à laquelle des groupes de pasteurs Tutsi quittèrent le Rwanda pour s’établir sur les hauts plateaux de l’Itombwe ; d’autres, notamment David Newbury, seraient tentés de retracer l’origine de leur migration à une époque plus récente, le milieu ou la fin du xixe siècle.

À partir des divergences sur les origines se greffent de nouveaux désaccords, et d’abord sur leur importance numérique. Alors que, pour le géographe G. Weis, la population banyamulenge se chiffrait à 24 000 en 1954, le regretté Joseph Mutambo, s’appuyant sur « des renseignements recueillis » dans les années 1990, l’évalue à 400 000, chiffre qui, toutefois, semble largement dépasser l’ordre de grandeur accepté par la plupart des démographes.

Autre sujet à controverse, et non des moindres : la nature de leurs identités collectives. Leurs origines lointaines sont rwandaises, leur profil ethnique tutsi (mâtiné d’apports extérieurs), leur langue est le kinyarwanda (même si certains avouent ne pas le parler), mais leur terroir est l’Itombwe, leur territoire le Sud Kivu, et leur identité congolaise. Ils se différencient non seulement des Tutsi du Rwanda mais aussi des communautés tutsi du Nord Kivu. C’est précisément ce sentiment d’appartenir à une entité nationale distincte de l’ethnie, enracinée dans l’histoire de leurs migrations, le mode vie, l’environnement, que leur contestent leurs ennemis. Contrairement à ce que prétendent ces derniers, les Bayamulenge ne se sont jamais sentis collectivement et culturellement rwandais, et si des alliances de convenance se sont effectivement nouées avec le Rwanda de Paul Kagame, c’est à la lumière des attaques dont ils ont été l’objet de la part de certaines élites kivutiennes au cours des mois qui ont suivi (et précédé) le génocide rwandais que doivent se comprendre ces rapprochements. Même s’ils se disent ne pas être rwandais, leur destin est inséparable des drames vécus par le Rwanda et le Burundi à partir de 1993. On ne soulignera jamais trop combien l’assassinat de Melchior Ndadaye au Burundi a contribué à la mise en place du terrible piège ethnique qui s’est refermé sur toutes les populations de la région des Grands Lacs.

La première partie de l’ouvrage, judicieusement sous-titrée « Les Banyamulenge contre le déni de leur citoyenneté », ouvre le dossier de la nationalité, et montre comment la loi de 1981 sur la nationalité, en les condamnant au statut d’apatride, a contribué à jeter les semences de la haine ethnique. L’injustice ne s’arrête pas là. Elle se perpétue à travers plusieurs formes d’exclusion. À commencer par celle qui a frappé les candidats banyamulenge aux élections législatives de 1987 ; vint ensuite l’exclusion des délégués banyamulenge à la Conférence nationale souveraine (CNS), puis les conclusions ahurissantes du fameux Rapport Vengu, dans la foulée du génocide de 1994, les qualifiant d’« immigrés étrangers ». C’est enfin l’ordre d’expulsion donné par le commissaire de zone d’Uvira, Shweka Mutabazi, dans une lettre du 26 octobre 1995 se référant à « une quelconque ethnie inconnue du Zaïre dénommée Banyamulenge » (p. 32), ce même Shweka qui en juillet 1996 se confondait en éructations contre les Banyamulenge, ordonnant « la chasse aux serpents ». Comment s’étonner dans ces conditions que nombre de jeunes Banyamulenge, jusqu’alors plus soucieux de leurs intérêts que de ceux de leurs voisins rwandais, aient recherché la protection de Kigali, que ceux-ci aient pris une part active au déboulonnage de Mobutu, qu’ils se soient ralliés dès le début à l’Alliance des forces démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL), et que plusieurs aient accepté des postes de responsabilité dans le gouvernement de Laurent Kabila à l’échelon national et provincial ?

Encore faut-il se garder d’en déduire une cohésion sans faille entre Tutsi rwandais et Banyamulenge, tant s’en faut : l’auteur ne mâche pas ses mots pour décrire les multiples carambolages survenus entre « dissidents » banyamulenge et l’Armée patriotique rwandaise (APR) et ceci avant même que n’éclate la deuxième guerre du Congo, en 1998. La crise de 1998 a certes jeté les bases d’une alliance stratégique entre Kigali et le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), au sein duquel plusieurs personnalités banyamulenge continuent à exercer d’importantes fonctions. Les tueries de milliers de Banyamulenge qui ont accompagné les incitations à la haine du gouvernement Kabila devaient nécessairement les rapprocher du Rwanda. Il n’empêche que ce reclassement est à la source de toutes les dissonances et désaccords qui, depuis août 1998, n’ont cessé d’envenimer les relations entre le Rwanda et ceux de ses « alliés » banyamulenge qui refusent la tutelle de Kigali. Plus graves encore sont les oppositions de factions au sein de la communauté banyamulenge. Les questions qui les taraudent sont loin de faire l’unanimité : jusqu’où les Banyamulenge peuvent-ils se laisser « instrumentaliser » par le Rwanda ? N’est-ce pas une politique à courte vue que de solliciter la tutelle de Kigali aux dépens de solutions plus durables, y compris celles que pourrait offrir un dialogue avec les Congolais ? Privée du bouclier protecteur de l’APR, comment cette communauté pourrait-elle parer aux vengeances qui suivraient le retrait éventuel de l’APR ? Dans une lettre au secrétaire général des Nations Unies, datée du 20 janvier 2000, s’exprimant au nom des Forces républicaines fédéralistes, l’auteur résumait ainsi le dilemme des « Tutsi congolais » : « Nous sommes pris entre le marteau et l’enclume, d’un côté par l’épuration violente du gouvernement Kabila, de l’autre par l’instrumentalisation forcée, tout aussi néfaste pour nous. » De toute évidence ce dilemme ne semble guère préoccuper la communauté internationale. Le problème des Banyamulenge est le cas type d’un drame humain occulté par les préjugés des uns (« les Banyamulenge sont des Rwandais ») et l’indifférence des autres.

La deuxième partie de l’ouvrage est essentiellement autobiographique et nous entraîne dans les vicissitudes de son action politique. C’est peu de dire que l’auteur a vécu dans la tourmente de luttes de factions entretenues par puissances interposées, notamment le Rwanda. Certaines têtes de chapitre et sous-titres en disent long sur les extraordinaires péripéties qui jalonnent son itinéraire politique : « Défense de nos droits de citoyens : première arrestation » (p. 116) ; « Tentative d’assassinat par le SARM et fuite par le Burundi » (p. 133) ; « Nouvelle fuite forcée » (p. 144) ; « Manigances, arrestation et fuite vers l’exil » (p. 148). Le moins que l’on puisse dire, c’est que son engagement politique en a fait l’incarnation de l’éternel opposant, avec tous les risques que comporte une pareille étiquette. Peu d’acteurs politiques, au Kivu ou ailleurs, peuvent se targuer d’avoir été la cible des critiques les plus acerbes, et parfois de l’irréductible hostilité, de pratiquement toutes les instances provinciales, nationales et parfois internationales – qui, à un moment ou à un autre, furent parties prenantes dans la crise congolaise. Que l’auteur soit devenu l’objet de profondes divisions au sein des Banyamulenge n’est pas la moindre des ironies d’une carrière politique consacrée au redressement des torts infligés à sa communauté d’origine.

Dans son excellente préface, Bogumil Jewsiewicki évoque la distinction de Paul Ricoeur entre « le projet de vérité » de l’histoire et « la visée de fidélité de la mémoire ». C’est à ce niveau que se situe la rupture épistémologique entre les historiens et les acteurs. Mais cela n’exonère pas l’historien de la recherche de passerelles entre l’analyse et le vécu. C’est en cela, me semble-t-il, que l’ouvrage de Müller Ruhimbika constitue un apport inestimable. Car tout en communiquant au lecteur le vécu de son expérience, en mettant à nu la responsabilité des acteurs politiques dans les accusations portées contre son peuple, il met en lumière des points de repère essentiels pour comprendre les racines de la crise qui aujourd’hui déchire la communauté des Banyamulenge et fait peser de très lourdes hypothèques sur son avenir.

Pour citer cette recension

René Lemarchand,  Ruhimbika, Manassé (Müller). – Les Banyamulenge (Congo-Zaïre) entre deux guerres (préface de B. Jewsiewicki). Paris, L’Harmattan, 2001, 299 p., Cahiers d'études africaines, 171, 2003
http://etudesafricaines.revues.org/document1537.html

 ATTENTION! LES TUTSI VEULENT NOUS VOLER LE PAYS EN PLEIN JOUR, COMME LA SITUATION A L'EST LE DEMONTRE !!!


04/11/2007
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